Histoire du cinéma chinois

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« Shadow Days » de Zhao Dayong

Jusqu’aux années 80, le cinéma chinois demeure en Occident un « illustre inconnu »… Identifié pendant longtemps avec un seul genre, celui des arts martiaux, populaire surtout à Hong Kong, il surprend en 1985 lors d’une mémorable édition du Festival de Film de Locarno. Le cinéma chinois y est représenté alors par deux immenses talents : Hou Hsiao-hsien pour Taiwan et Chen Kaige pour la Chine continentale. Cette découverte contribue à dissiper la confusion qui régnait alors autour de ce cinéma : d’une part, on prend connaissance qu’il ne s’agit pas d’un seul mais de trois cinémas chinois issus de trois zones très inégales ;  d’autre part, on apprend que Chen Kaige est le représentant d’une cinquième génération de cinéastes, ce qui signifiait que d’autres générations avaient existé auparavant en Chine dont les efforts avaient amené ce cinéma à un tel niveau de qualité.

Dans le cinéma chinois, les générations décrivent différentes étapes, voire différents styles, de son histoire. La première qui s’étend de 1913 à 1932, couvre la période du muet ; la deuxième,de 1932 à 1949, connaît l’avènement du cinéma parlant et représente la meilleure période du cinéma réaliste, comme le témoignent quelques chefs-d’œuvre de cette époque, tels que La divine (1934) de Wu Yonggang et Les anges du boulevard (1937) de Yuan Muzhi ; la troisième, de 1950 à 1966, est l’expression du cinéma réaliste socialiste (citons par exemple Le petit soldat Zhang Ga (1963) de Cui Wei)  ; la quatrième ne pourra s’exprimer qu’après la triste décennie de la Révolution culturelle (1966-1976), avec des films tels que Le sourire d’un homme tourmenté (1979) de Yang Yanjing, et ouvrira la voie à la cinquième, qui lance définitivement le cinéma chinois dans une orbite internationale. Ce sont ces jeunes cinéastes (Chen Kaige, Zhang Yimou, Tian Zhuangzhuang…) qui, en sortant en 1982 de l’Institut du cinéma de Pékin, entreprennent la difficile refonte du cinéma chinois qui nécessitait dans un premier temps d’être dépolitisé.   Ils commencent alors par s’intéresser à un individu nouveau, capable d’exprimer à nouveau à l’écran ses sentiments et sa souffrance après les années d’extrémisme idéologique de la Révolution culturelle. Les films deviennent alors plus intimistes, les héros socialistes quittent définitivement l’écran… Après le coup d’envoi donné en 1984 par Terre jaune de Chen Kaige, le nouveau cinéma chinois collecte les récompenses aux festivals internationaux : Ours d’Or au Festival du Film de Berlin en 1988 pour Le sorgho rouge de Zhang Yimou ; Prix du Meilleur Film et de la Meilleure Interprétation Féminine pour Le cerf-volant bleu au Festival du Film de Tokyo en 1993.

Le début des années 1990 marque un tournant dans le cinéma chinois. Les cinéastes s’intéressent davantage au parcours existentiel de l’individu et à son malaise intime face à une société qui bouge en permanence. Ils s’éloignent alors progressivement des paysages ruraux, des formes allusives et métaphoriques utilisées par leurs prédécesseurs au profit de formes plus réalistes. Comme pour la Cinquième génération, c’est encore autour d’un événement dramatique que la nouvelle génération de cinéastes va se construire : la répression tragique du mouvement des étudiants de la place Tiananmen en juin 1989.  La promotion de l’Institut du cinéma du même mois de cette année se trouve face à un dilemme : aucun studio officiel n’est prêt à les accueillir car, comme tous les étudiants chinois à cette époque, eux aussi sont vus comme une force éversive. Que faire alors ? Attendre des années avant de se voir confier la réalisation d’un film ou chercher d’autres voies ? Courageusement, les nouveaux diplômes penchent pour la seconde solution et décident d’œuvrer hors des sentiers battus. Dans un contexte où l’accès au circuit officiel de production et de diffusion des films dépend des autorisations accordées par le Bureau du cinéma, les jeunes cinéastes décident de créer un espace alternatif. Leur cinéma s’inscrit alors d’emblée dans une sorte de mouvement anticonformiste et totalement en marge du système. C’est ainsi qu’une production indépendante, dont la survie sera intimement liée, par la force des choses, au soutien du  public étranger, voit le jour. A quelques années du nouveau Millénaire, la Chine affiche donc une cinématographie morcelée et à double vitesse…

Les films de la nouvelle génération, passée à l’histoire sous le nom de « Sixième génération »,  montrent une sensibilité plus résolument urbaine. Ils témoignent des revers du miracle économique fait de misère, de chômage et de désarroi de la population face à la brutalité des changements socioculturels. Appartiennent à cette génération des noms qui sont devenus célèbres sur la scène internationale, tels que Wang Xiaoshuai (Beijing Bicycle), et Lou Ye (Suzhou River).  

Le style cinématographique, à l’opposé de la génération précédente, emprunte beaucoup à la technique du documentaire qui d’ailleurs se développe en tant qu’expression artistique à part entière. Pour cela, les nouveaux cinéastes sont aidés par un outil formidable : la caméra numérique. Pouvant être très discrète, de simple utilisation et de faible coût, la caméra numérique ouvre une fenêtre de création audiovisuelle dans laquelle la nouvelle génération s’engouffre avec un enthousiasme sans précédent. La caméra numérique leur donne la possibilité de filmer nos seulement les grandes villes mais aussi les coins les plus reculés du pays où résident les couches sociales les plus défavorisées. Aujourd’hui, à l’heure où le cinéma chinois entre dans l’ère de la globalisation, de nombreux représentants du cinéma d’auteur des années 80 et 90 s’approchent d’un cinéma plus commercial ; en 2006, par exemple, Zhang Yimou inaugure avec La cité interdite (une fresque historique qui évoque la Chine impériale), le filon des super productions susceptibles de devenir championnes du box-office chinois comme à l’étranger. Cela permet de passer aisément la censure et de bénéficier des financements de producteurs qui veulent s’assurer un retour de leur investissement grâce à une distribution massive dans le circuit des salles nationales (et internationales). D’autres cinéastes, en revanche, restent farouchement les représentants d’un cinéma d’auteur qui cherche une alternative valable à ces super productions.  C’est à travers ce cinéma qui continue, entre de nombreuses difficultés, de se produire indépendamment des circuits officiels, qu’ils définissent leur façon personnelle et originale de se présenter au monde. Et, bien sûr, au cinéma.

Luisa Prudentino

Spécialiste du cinéma chinois, Luisa Prudentino enseigne l’histoire du cinéma chinois à l’INALCO depuis 2008 et anime de nombreux séminaires, colloques et conférences en France, en Italie et en Chine. Elle est notamment l’auteur d’un ouvrage de référence sur le cinéma chinois intitulé « Le regard des ombres » (Bleu de Chine, 2003).

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