Bordé à l’est par la mer des Philippines, à l’ouest par la mer de Chine méridionale et au sud par la mer de Célèbes, l’archipel philippin se trouve plus populairement dans l’océan Pacifique. Les Philippines comptent ainsi plus de 7600 îles – dont 2000 sont officiellement habitées – sur son territoire, d’une surface totale d’environ 300 439 km2. Beaucoup de ces îles ne sont en fait que des îlots, puisque les onze plus grandes îles de l’archipel totalisent à elles seules plus de 95% des terres. En 2017, la population totale des Philippines est estimée à 104 millions d’habitants. Aujourd’hui, les Philippines se découpent en trois archipels (Luçon, Mindanao et les Visayas) et comptent dix-sept régions distinctes, à l’autonomie relativement restreinte, sauf dans le sud du pays où la région autonome en Mindanao musulmane (ARMM), à majorité musulmane, jouit d’un statut particulier dans un contexte religieux mais aussi géopolitique de crise durable.
Constitué à l’origine de différents peuples émanant de vagues d’immigration diverses en provenance du continent asiatique, les Philippines sont le seul pays d’Asie du Sud-Est à avoir été colonisé avant même d’avoir eu le temps de développer un gouvernement centralisé ou de revendiquer une culture dominante.
Peu avant l’arrivée des Espagnols et de l’explorateur Fernand de Magellan, au XVIème siècle, les Philippines possédaient ainsi une population à la fois organisée en tribus dispersées, souvent polythéistes, en communautés chinoises –résultantes d’échanges commerciaux récurrents–, et en sultanats, sous l’influence des royaumes maritimes indo-malais voisins qui commencèrent à diffuser l’Islam.
L’arrivée des Espagnols changea totalement la donne. Et la première colonie espagnole permanente fut établie à Cebu en 1565. La ville de Manille fut fondée en 1571, et à la fin du XVIème siècle, la quasi-totalité de l’archipel philippin était sous contrôle espagnol, tandis que les prêtres procédaient à la conversion des autochtones au catholicisme romain. Seuls les musulmans de Mindanao et Sulu, appelés les « Moros » par les Espagnols, résistaient à la domination espagnole.
Tout au long cette période, Etat et Eglise constituaient les piliers de l’administration espagnole, l’objectif étant à la fois commercial et culturel : il s’agissait en l’occurrence pour le clergé espagnol de christianiser et d’hispaniser les Philippins, en interdisant les religions locales et la pratique de cultes anciens.
Parallèlement, les politiques agricoles et foncières espagnoles mises en pratique renforçaient les différences de classes, en enrichissant l’aristocratie et les nouveaux propriétaires au détriment des agriculteurs.
Avec l’accélération des échanges sans restriction avec l’Europe, et l’ouverture des ports du pays au commerce international, une nouvelle classe sociale fit son apparition, descendante des communautés de commerçants sino-philippins.
Et vers les années 1880, beaucoup de jeunes de ces classes aisées étaient envoyés en Europe pour étudier. De là naquirent un nationalisme et une passion réformiste, sous les traits du Mouvement de propagande des étudiants philippins d’Espagne emmené par un étudiant brillant, José Rizal, auteur de deux ouvrages politiques de référence –Noli me tangere (1886) and El filibusterismo (1891)–, qui eurent un impact extrêmement important aux Philippines. De retour aux Philippines, José Rizal fonda le 3 juillet 1892 la Ligue philippine, une organisation visant à promouvoir sur l’archipel ses idées progressistes et réformistes, mais fut arrêté quelques jours plus tard par les autorités espagnoles, puis finalement exécuté le 30 décembre 1896, après un simulacre de procès. Il avait 35 ans. Devenant aussitôt un martyr, sa mort amplifie la résistance.
Inspiré par les écrits de José Rizal et choqué par l’arrestation de ce dernier, Andres Bonifacio prône l’insurrection générale avec le Katipunan, société secrète créée dans le but de libérer le pays des colonisateurs espagnols.
Les raisons de la scission en deux groupes rivaux du Katipunan font l’objet de théories contradictoires. Toujours est-il qu’elle plaça la faction Magdiwang (dont le chef suprême était Bonifacio) en porte-à-faux avec celle de Magdalo (qui voulait placer Emilio Aguinaldo à la tête du mouvement). Pendant ce temps, les troupes espagnoles progressaient rapidement.
Le 22 mars 1897, une réunion connue sous le nom de « Convention Tejeros » fut organisée à Cavite pour résoudre le problème de direction politique de la révolution. Ici encore, la controverse est de mise au sujet de ces discussions, à l’issue desquelles deux gouvernements révolutionnaires rivaux furent constitués : l’un était présidé par Emilio Aguinaldo, l’autre, par Andres Bonifacio.
Le conflit entre les deux hommes atteignit son paroxysme quand Bonifacio fut fait prisonnier par les soldats d’Aguinaldo, jugé coupable de trahison et exécuté le 10 mai 1897 dans les montagnes de Maragondon, à Cavite.
De nombreux partisans du mouvement, découragés par cette exécution, abandonnèrent la lutte armée. Les 14 et 15 décembre 1897, les troupes rebelles d’Aguinaldo se rendirent et le pacte de Biak-na-Bato fut signé : Aguinaldo obtint l’amnistie pour les membres du Katipunan mais les instances dirigeantes du mouvement, dont il faisait partie, furent contraintes de s’exiler à Hong Kong (un exil compensé par une indemnité…).
L’explosion et le naufrage d’un navire de guerre américain à La Havane en février 1898, au cours d’une révolution cubaine, amena les Etats-Unis à déclarer la guerre à l’Espagne deux mois plus tard, ce qui favorisa le retour au pays d’Emilio Aguinaldo et renforça la rébellion. Les Espagnols finirent par quitter les Philippines, contraints de vendre leur colonie aux Américains pour 20 millions de dollars, par le Traité de Paris du 10 décembre 1898.
Aguinaldo avait pendant ce temps déclaré l’indépendance du pays, le 12 juin 1898, à Cavite. Cet acte établissait la première république philippine et la première constitution démocratique du continent asiatique, après 327 ans de domination espagnole.
Il devint cependant clair que les Américains n’avaient nullement l’intention de repartir et qu’ils n’accorderaient pas l’autonomie aux Philippins. S’ensuivit une guerre américano-philippine, déclenchée le 4 février 1899. La révolte fut finalement écrasée en 1902, suite à la capture d’Aguinaldo, et les Américains gouvernèrent le pays jusqu’à l’invasion japonaise de 1942. Les Alliés reprirent les îles en 1945 et les Etats-Unis administrèrent à nouveau le territoire jusqu’à l’Indépendance, opportunément proclamée le 4 juillet 1946.
Sous l’influence américaine, la pratique de l’anglais dépassa celle de tous les dialectes locaux et les jalons de l’organisation politique furent posés selon le modèle américain. La propriété terrienne resta en revanche plus inégalitaire que jamais, renforçant le pouvoir des Philippins les plus riches et les mieux connectés politiquement parlant, tout en servant les intérêts économiques américains.
Constitué à l’origine de différents peuples émanant de vagues d’immigration diverses en provenance du continent asiatique, les Philippines sont le seul pays d’Asie du Sud-Est à avoir été colonisé avant même d’avoir eu le temps de développer un gouvernement centralisé ou de revendiquer une culture dominante.
En novembre 1965, Ferdinand E. Marcos est élu président. Son administration est confrontée à de graves problèmes économiques qui exacerbent corruption, évasion fiscale et contrebande.
Devant l’ampleur grandissante des manifestations, notamment étudiantes, demandant plus de transparence et une refonte des institutions, Marcos décréta en septembre 1972 la Loi Martiale –officiellement, une mesure drastique pour mettre un terme aux manifestations étudiantes et aux prétendues menaces d’insurrection par le nouveau Parti Communiste des Philippines et le mouvement séparatiste musulman du Front Moro de Libération Nationale, officieusement une manœuvre pour modifier les institutions à sa guise et assurer la longévité de son mandat. Une de ses premières actions consista ainsi à faire arrêter ses opposants politiques. Au sud du pays, la rébellion séparatiste s’en retrouva plus exacerbée que jamais.
Sous la Loi Martiale, les crimes urbains furent certes réduits, les armes non enregistrées confisquées, mais c’est surtout le contrôle politique et économique de Marcos, de ses proches et associés qui fut consolidée, sur fond de corruption généralisée et au mépris de l’intérêt collectif.
En 1986, Corazon C. Aquino, la veuve de Benigno Aquino, rival politique de Marcos assassiné en 1983, devient Présidente en lieu et place de Marcos, dont la chute est précipitée par la vindicte populaire. Elle rétablit une forme de gouvernement bicamériste telle qu’il existait avant l’instauration de la Loi Martiale de 1972.
Mais la dette externe héritée du gouvernement Marcos était abyssale, l’économie du pays sérieusement appauvrie, et la menace des insurgés Moro et communistes grandissante.
Le gouvernement Aquino fut également confronté à des dissensions internes, des tentatives de coup d’état répétées et des catastrophes naturelles.
Début 1990, les critiques de leadership faible, de corruption et d’abus des droits de l’homme commencèrent à fuser.
Aquino ne se représenta pas pour un second mandat en 1992.
A partir de là, plusieurs présidents –émanant de l’élite et de clans familiaux – se succèdent, sans jamais vraiment parvenir à réduire les inégalités et à se départir d’accusations de corruption, tandis que les conflits s’amplifient avec les séparatistes au sud de l’île de Mindanao (plus de 120000 victimes et environ 2 millions de déplacés en 40 ans) et qu’en novembre 2013, le typhon Haiyan –le plus violent– frappe le pays de plein fouet.
Le 9 mai 2016, Rodrigo Duterte, maire de longue date de Davao à la rhétorique populiste incendiaire –il promet d’exécuter 100000 criminels–, est élu Président. Lors de son investiture en juin, les assassinats illégaux de criminels suspectés de trafic de drogue bondissent, sans autre forme de procès.
En mai 2017, Rodrigo Duterte décrète la Loi Martiale sur l’île de Mindanao pour circonvenir les rébellions islamiste et communiste.
Initialement décrétée pour 60 jours, les parlementaires ont validé sa prolongation jusqu’à la fin de l’année, sur demande du Président. Ce régime d’exception est extrêmement sensible aux Philippines en ce qu’il rappelle les heures sombres de la dictature de Ferdinand Marcos qui l’avait instauré en 1972.
Rodrigo Duterte, qui a réhabilité Marcos en le faisant enterrer au cimetière des héros de la Nation, a menacé d’étendre la loi martiale à tout le pays si la menace islamiste s’exportait au-delà de la région de Mindanao.
Les organisations de défense des droits de l’homme, qui dénoncent en outre la sanglante campagne du Président contre les stupéfiants, accusent Rodrigo Duterte de mettre en péril la démocratie, trois décennies après la révolution qui avait permis de chasser Marcos du pouvoir.
Tonglao S. Epinal
Tonglao S. Epinal est photographe et vidéaste, elle a également collaboré à de nombreuses revues spécialisées en tant que rédactrice freelance et voyage fréquemment en Asie du Sud Est pour ses travaux et recherches. Elle prépare actuellement un long-métrage documentaire sur l’héritage du cinéma soviétique et le paradoxe de la censure dans l’essor du cinéma asiatique de 1956 à 1986.