A propos de Mindanao

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L’archipel philippin se situe dans l’océan Pacifique au large du Vietnam et de l’Indonésie. Il comprend quelque 7000 îles et îlots, dont une douzaine abritent l’essentiel de la population, soit plus de cent millions d’habitants. Le récit du film de Sheron Dayoc, LES FEMMES DE LA RIVIERE QUI PLEURE, se déroule sur l’île de Mindanao, tout au sud de l’archipel. Dans cette partie du monde, les îles sont montagneuses. La mer sépare les îles, les chaînes de montagnes séparent les vallées – le peuplement est fragmenté. Ainsi, aux Philippines, il y a de nombreuses langues et de nombreux dialectes, les identités locales ou régionales sont fortes. Aujourd’hui encore, le pouvoir est largement contrôlé par de grandes familles provinciales, les « dynasties politiques », les clans. L’archipel est un creuset de cultures propres à l’Asie du Sud-Est, mais aussi musulmanes et occidentales. Un mouvement d’islamisation se fait sentir à partir du 14e siècle. L’islam se développe en Asie et atteint les îles indonésiennes, dont les eaux se mêlent à celles de l’actuel archipel philippin. Des marchands arabes commercent, accompagnés de missionnaires. Des sultanats se créent, notamment à Mindanao. Héritières de cette histoire, les FEMMES DE LA RIVIERE QUI PLEURE sont musulmanes. La colonisation occidentale débute au XVIe siècle. Elle a une durée exceptionnellement longue pour l’Asie : pas loin de 400 ans. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Philippines sont une colonie directe de l’Espagne, rattachée au Mexique, puis l’une des rares colonies directes des Etats-Unis qui a militairement vaincu le Royaume d’Espagne en 1898. L’indépendance est proclamée en 1946. La grande majorité du pays est christianisé sous la colonisation espagnole. On peut dire des Philippines qu’elles représentent l’Asie latine. L’ordre colonial a cependant dû composer avec les sultanats au sud de l’archipel, qui bénéficient d’institutions politiques centralisées et résistent à la christianisation. Aujourd’hui, trois peuples cohabitent à Mindanao. Les groupes ethnolinguistiques musulmans qui restent majoritaires dans le centre et le sud-ouest de l’île. Les Lumad, des populations montagnardes dont le mode de vie est lié aux forêts. Les descendants de colons chrétiens venus d’autres régions de l’archipel à la recherche de terres à cultiver. Ces derniers sont aujourd’hui majoritaires dans le nord et l’est de l’île. Mindanao est le théâtre de nombreux conflits qui ont pour objet le contrôle du territoire : Paysans en quête de terres. Firmes philippines ou internationales créant de vastes plantations. Grandes compagnies engagées dans l’exploitation des mines et des forêts. Les tensions sont sociales et économiques avant d’être religieuses. Ainsi, le film les FEMMES DE LA RIVIERE QUI PLEURE a pour trame un conflit au sein même de la communauté musulmane entre Satra, une jeune veuve, et les Ismaels, plus riches, qui se sont emparés de ses terres et ont tué son mari. Aux Philippines, les conflits locaux opposent souvent des clans, des familles, qui partagent la même religion. Ces conflits ont une longue histoire en territoire musulman. Ce sont les « ridos », que l’on peut traduire par vendetta. Le film de Sheron Dayoc est le récit d’un rido traditionnel et de ses règles. Il est ponctué de négociations menées avec l’aide d’un tiers pour tenter de trouver un accord mettant fin à la violence. La femme qui joue ce rôle de tiers est elle-même veuve, son mari ayant été tué lors d’une précédente vendetta. Les négociations échouent. Satra appelle ses proches en renfort, qui hésitent à se voir entraînés dans une guerre sans fin. En principe, seuls les hommes en âge de porter des armes sont des cibles légitimes. Les veuves deviennent légions – et jouent parfois un rôle grandissant dans le maintien de la famille et la conduite du rido. Le film retrace un conflit local, poursuivi avec un armement souvent rudimentaire. Il évoque cependant un arrière-plan plus vaste : l’annonce d’un affrontement frontal entre l’armée gouvernementale et un mouvement de libération moro. Moro est le terme utilisé aux Philippines pour donner une identité commune aux divers groupes ethnolinguistiques musulmans. Les organisations moros revendiquent l’indépendance ou l’autonomie des territoires où les musulmans sont majoritaires. Une organisation moro donne à la famille de Satra un fusil d’assaut moderne pour qu’elle puisse mieux se défendre, mais à une condition : qu’elle les soutienne quand la guerre commencera avec le gouvernement. Les sultanats ont disparu, mais sous la dictature du régime Marcos, dans les années 70, un puissant mouvement de résistance armé musulman a débuté contre l’oppression multiforme dont les Moros étaient victimes. Aujourd’hui, les principaux clans musulmans contrôlent de véritables armées privées, très bien équipées. Cependant, les conflits qui se poursuivent à Mindanao n’opposent plus les Moros en tant que tel au régime. Un nouvel accord de paix a été signé avec le gouvernement. Un large éventail de groupes armés opère dans l’île, dont des islamistes radicaux dissidents. En réaction à cet état de guerre dû à des conflits politiques et territoriaux, des mouvements mobilisent les trois peuples de Mindanao pour imposer conjointement la paix aux forces belligérantes. Un espoir.

Pierre Rousset

Fondateur et responsable de l’association Europe Solidaire Sans Frontières (www.essf.org), spécialiste des questions asiatiques (lire notamment l’article « Marawi (Mindanao) : état de guerre et loi martiale dans le Sud philippin » sur le site d’ESSF), Pierre Rousset est auteur de nombreux ouvrages, essais, études, rapports et articles dédiés aux questions de politique internationale.

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